Page:Sand - Journal intime.pdf/39

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choie qui me soutienne, le seul espoir qui ait réussi à entrer dans cette pauvre télé. C’est pour cela que je ne peux pas me décider à partir, car, quand je serai loin, — il me l’a dit, — que saura-t-il de moi ? Il pourra supposer que je fais des folies et qu’il les ignore. En restant ici, je me ferai bien rendre justice, cl, pour cela, je ne veux pas m’isoler, me cacher, me cloîtrer, ce serait, à ses yeux, un coup de tête, une idée romanesque, dont la durée lui semblerait douteuse. Il penserait qu’au premier pas que je ferais dehors, j’aurais une tentation et j’y succomberais. D’ailleurs, qui sait s’il n’en serait pas ainsi ? La claustration, l’ascétisme, la mortification, exaltent les sens, et pourquoi exalterais-je les miens par une solitude dangereuse, lorsque au milieu des hommes ils me laissent fort tranquille ? Ce serait par trop bête. S’il venait m’y trouver dans ma cellule, s’il venait m’y donner seulement un baiser tous les jours, oh, comme j’y courrais ! Mais il n’y viendrait pas, ou il y viendrait avec cette méfiance continuelle du lendemain. Il faut que je mette entre nous un temps et des faits qui pourront s’appeler hier et qui lui prouveront que je peux aimer, souffrir et subir. Je veux m’entourer d’hommes purs et distingués. Loin de moi les forts, je veux voir des artistes. Liszt, Delacroix, Berlioz, Meyerbeer. Je ne sais qui encore. Je serai homme avec eux et on jasera d’abord ; on le niera, on en rira. Alfred entendra ces mau-