Page:Sand - Journal intime.pdf/46

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défends et cependant que deviendrai-je loin de toi, si cette flamme continue à me ronger ? Si je ne puis passer une nuit sans crier après loi et me tordre dans mon lit, que ferai-je quand je t’aurai perdu pour toujours ? Pâlirai-je comme une religieuse dévorée par le désir ? Deviendrai-je folle et réveillerai-je les hôtes des maisons par mes hurlements ? Oh, tu veux que je me tue ?

Et pourquoi ne le ferais-je pas ? Je ressens tant de douleur à l’idée d’abandonner mes enfants, que le déchirement de mon cœur en consommant ce sacrifice, m’absoudrait devant Dieu de la faute pour laquelle il m’a châtiée. Ma fille souffrira-t-elle de ma mort ? Bien peu. Mon fils… Oh toi, pauvre enfant, tu pleureras bien fort, et ton âme sera blessée pour toujours. Un enfant sans mère est si malheureux ! Et pourtant je vais partir pour longtemps et il faudra bien que tu te passes de moi. Mais ces pleurs, ces sanglots de mon enfant, quand on viendra lui dire : « Ta mère est morte, » pourquoi m’en inquiéter ? Je ne les verrai pas, je ne le saurai pas. Mais ils me tombent d’avance sur le cœur : je les sens déjà, comme si ces larmes me roulaient toutes chaudes sur le visage. Pauvre petit ! Je me souviens des larmes de mon enfance ; elles n’étaient pas moins amères que celles d’aujourd’hui. Et quand un étranger sera venu t’annoncer doucement que tu n’as plus de mère, tu t’en retourneras seul, dans ces