Page:Sand - Journal intime.pdf/75

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Le public la sifflera et la saluera du nom odieux de Lélia l’impuissante.

Impuissante ! Oui, mordieu, impuissante à la servilité, impuissante à l’adulation, impuissante à la bassesse, impuissante à la peur de toi. Bête stupide, qui n’aurais pas le courage de tuer sans des lois qui punissent le meurtre par le meurtre et qui n’as de force et de vengeance que dans la calomnie et la diffamation ! Mais quand tu trouves une femelle qui sait se passer de toi, ta vaine puissance tourne à la fureur et ta fureur est punie par un sourire, par un adieu, par un éternel oubli.


12 juin.

Ce soir-là. pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert, la princesse[1] se promenait dans l’ombre autour de la terrasse, elle était vêtue d’une robe pâle. Un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des

  1. Madame d’Agoult.