Page:Sand - Journal intime.pdf/74

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

devrait se prosterner quand tu passes et t’élire roi de l’Univers. Quand tu me frappes, je suis glorieuse, quand tu me repousses du pied, mon sort est préférable à celui de tous les êtres, t’appartenir est une telle gloire que le genre humain tout entier voudrait se mettre à ma place, s’il savait quel honneur y est attaché. » Et pourtant ces aberrations sont quelquefois dans l’amour le plus pur et le plus vrai. Mais si elles ne sont suivies de réactions violentes, n’y crois pas, homme imbécile, car celle qui t’adore sans cesse, te méprise en secret, et celle-là seule qui t’accepte imparfait, et te subit injuste, t’aime avec désintéressement. Mais, fat imprudent, tu ne veux pas qu’on te pardonne, tu veux qu’on croie ou qu’on prétexte n’avoir rien à te pardonner. Tu veux qu’on baise la main qui frappe et la bouche qui ment. Cherche donc l’objet de ton amour dans la fange, et empêche tout un rêve d’en sortir, tant que tu seras toi-même une idole de boue, car si la femme s’ennoblissait, tu serais forcé, pour demeurer son supérieur, de t’ennoblir et de te purifier aussi et c’est ce que tu ne sais, ne peux, ni ne veux faire.

Mon cher Piffoël, apprends donc la science de la vie et quand tu te mêleras de faire du roman, tâche de connaître un peu mieux le cœur humain. Ne prends jamais pour ton idéal de femme une âme forte, désintéressée, courageuse, candide.