Page:Sand - Journal intime.pdf/88

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pas malheureux, avoir émoussé tous les aiguillons de la douleur et trouver à l’absinthe le goût du miel, loi qui assures n’avoir pas le temps de pleurer, toi qui ne crois ni a ta peine, ni à celle d’autrui.

Toi, optimiste en robe pourpre, à qui si peu d’hommes ont surpris un instant de faiblesse, tu connais pourtant bien ce cœur faible qui se fond en sanglots quelquefois quand il se trouve seul avec toi, au lever ou au coucher de la lune.

Tu es un grand maître, oh ! que je t’ai connu sublime de tendresse ! paternel, persuasif, inspirant de fanatiques dévouements. Pourquoi, vieillard, ton cœur s’est-il endurci ? Pourquoi de les enfants as-tu voulu faire des esclaves ? Pourquoi le titre de Maître t’a-t-il semblé plus doux que celui de Père ? Et à présent te voilà seul, car les êtres intelligents ne se soumettent qu’à lu bonté. Tu règnes, tout tremble autour de toi. Il n’y a pas dans ton domaine un cheveu qui ose se dresser contre toi, et tout frémit au souille de ta colère, comme les feuilles au vent d’orage. Infortuné ! combien lu souffres, quand tu t’aperçois que tes sujets sont des brutes ou des lâches. Quand tu vois qu’on te craint et qu’on ne t’aime pas. Quand lu fais cette affreuse découverte qu’il n’y a pas d’amour, là où il n’y a pas de force, pas de dévouement où il n’y a pas de résistance, pas de plaisir à commander, quand il n’y a pas eu de peine à soumettre !