Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/277

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Si la beauté a de certains triomphes, dont l’amour ne peut se refuser à jouir, c’est surtout lorsqu’ils sont imprévus et involontaires. Cette belle chevelure eût été, en effet, un véritable dédommagement pour une femme laide, et chez Gilberte c’était comme une prodigalité de la nature ajoutée à tous ses autres dons.

Il faut bien dire que, comme son père, Gilberte était plus laborieuse qu’adroite de ses mains, et, d’ailleurs, elle avait perdu en courant toutes ses épingles, et par deux fois, la lourde torsade roulée sur sa nuque avec précipitation se défit et retomba jusqu’à ses pieds.

Le regard d’Émile plana toujours sur elle ; Gilberte ne le voyait pas, mais elle le sentait comme si le feu de ce regard passionné eût rempli l’atmosphère. Elle en fut bientôt si confuse, qu’elle oublia d’en être joyeuse, et enfin, comme à l’ordinaire, elle s’efforça de rompre, par une plaisanterie, leur mutuelle émotion.

« Je voudrais que ces cheveux fussent à moi, dit-elle, je les couperais, et je les enverrais au fond de la rivière. »

C’était l’occasion pour Émile de faire un beau compliment ; mais il s’en garda bien. Qu’eût-il dit sur ces cheveux-là, qui exprimât l’amour qu’il leur portait ? Il ne les avait jamais touchés, et il en mourait d’envie. Il regarda furtivement autour de lui.

Un cercle de rochers et d’arbrisseaux isolait Gilberte et lui du monde entier. Il n’y avait aucun point de la montagne d’où on pût les voir. On eût dit qu’elle avait choisi cet abri pour le tenter, et pourtant l’innocente fille n’y avait point songé et ne songeait pas encore qu’il y eût là quelque danger pour elle.

Émile n’avait plus sa raison. L’insomnie, l’épouvante, la douleur et la joie, avaient allumé la fièvre dans son sang.