Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/278

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Il s’agenouilla auprès de Gilberte, et prit dans sa main tremblante une poignée de ses cheveux rebelles ; puis, comme elle tressaillait, il la laissa retomber en disant :

« J’ai cru que c’était une guêpe, mais ce n’est qu’un brin de mousse.

— Vous m’avez fait peur, reprit Gilberte en secouant la tête : j’ai cru que c’était un serpent. »

Cependant la main d’Émile s’attachait à cette chevelure et ne pouvait l’abandonner.

Sous prétexte d’aider Gilberte à en rassembler les mèches éparses que lui disputait la brise, il les toucha cent fois, et finit par y porter ses lèvres à la dérobée. Gilberte parut ne point s’en apercevoir, et, remettant précipitamment son chapeau sur sa coiffure mal assurée, elle se leva en disant, d’un air qu’elle voulait rendre dégagé :

« Allons voir si mon père est réveillé. »

Mais elle tremblait ; une pâleur subite avait effacé les brillantes couleurs de ses joues ; son cœur était prêt à se rompre ; elle fléchit et s’appuya sur le rocher pour ne pas tomber. Émile était à ses pieds.

Que lui disait-il ? Il ne le savait pas lui-même, et les échos de Crozant n’ont pas gardé ses paroles. Gilberte ne les entendit pas distinctement ; elle avait le bruit du torrent dans les oreilles, mais centuplé par le battement de ses artères, et il lui semblait que la montagne, prise de convulsions, oscillait au-dessus de sa tête.

Elle n’avait plus de jambes pour fuir, et d’ailleurs elle n’y songeait point. On fuirait en vain l’amour ; quand il s’est insinué dans l’âme, il s’y attache et la suit partout. Gilberte ne savait pas qu’il y eût d’autre péril dans l’amour que celui de laisser surprendre son cœur, et il n’y en avait pas d’autres en effet pour elle auprès d’Émile.