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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/149

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toujours ! Oh ! je t’en prie, je t’en supplie, mon Pylade, ne fais pas de moi un personnage tragique. Ne me dis pas qu’il y a de ma part une épouvantable vigueur à soutenir cette gaieté. Non, non, ce n’est pas un rôle, ce n’est pas une tâche, ce n’est pas même un calcul ; c’est un instinct et un besoin. La nature humaine ne veut pas ce qui lui nuit ; l’âme ne veut pas souffrir, le corps ne veut pas mourir, et c’est en face de la douleur la plus vraie et de la maladie la plus sérieuse que l’âme et le corps se mettent à nier et à fuir l’approche odieuse de la destruction. Il est des crises violentes où le suicide devient un besoin, une rage ; c’est une certaine portion du cerveau qui souffre et s’atrophie physiquement. Mais que cette crise passe ; la nature, la robuste nature que Dieu a faite pour durer son temps, étend ses bras désolés et se rattache aux moindres brins d’herbe pour ne pas rouler dans sa fosse. En faisant la vie de l’homme si misérable, la Providence a bien su qu’il fallait donner à l’homme l’horreur de la mort. Et cela est le plus grand, le plus inexplicable des miracles qui concourent à la durée du genre humain ; car quiconque verrait clairement ce qui est, se donnerait la mort. Ces moments de clarté funeste nous arrivent, mais nous n’y cédons pas toujours, et le miracle qui fait refleurir les plantes après la neige et la glace s’opère dans le cœur de l’homme. Et puis, tout ce qu’on appelle la raison, la sagesse humaine, tous ces livres, toutes ces philosophies, tous ces devoirs sociaux et religieux qui nous rattachent à la vie ne sont-ils pas là ! Ne les a-t-on pas inventés pour nous aider à flatter les penchant naturel, comme tous les principes fondamentaux, comme la propriété, le despotisme et le reste ? Ces lois-là sont bien sages et faites pour durer ; mais on en pourrait faire de plus belles, et Jésus, en souffrant le martyre, a donné un grand exemple de suicide. Quant à moi, je te déclare que, si je ne me tue pas, c’est absolument parce que je suis lâche.

Et qui me rend lâche ? Ce n’est pas la crainte de me faire