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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/150

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un peu de mal avec un couteau ou un pistolet ; c’est l’effroi de ne plus exister, c’est la douleur de quitter ma famille, mes enfants et mes amis ; c’est l’horreur du sépulcre ; car, quoique l’âme espère une autre vie, elle est si intimement liée à ce pauvre corps, elle a contracté, en l’habitant, une si douce complaisance pour lui, qu’elle frémit à l’idée de le laisser pourrir et manger aux vers. Elle sait bien que ni elle ni lui n’en sauront rien alors ; mais, tant qu’elle lui est unie, elle le soigne et l’estime, et ne peut se faire une idée nette de ce qu’elle sera, séparée de lui.

Je supporte donc la vie, parce que je l’aime ; et quoique la somme de mes douleurs soit infiniment plus forte que celle de mes joies, quoique j’aie perdu les biens sans lesquels je m’imaginais la vie impossible, j’aime encore cette triste destinée qui me reste, et je lui découvre, chaque fois que je me réconcilie avec elle, des douceurs dont je ne me souvenais pas, ou que je niais avec dédain quand j’étais riche de bonheur et glorieux. Oh ! l’homme est si insolent quand sa passion triomphe ! quand il aime ou quand il est aimé, comme il méprise tout ce qui n’est pas l’amour ! comme il fait bon marché de sa vie ! comme il est prêt à s’en débarrasser dès que son étoile pâlit un peu ! Et quand il perd ce qu’il aime, quelle agonie, quelles convulsions, quelle haine pour les secours de l’amitié, pour les miséricordes de Dieu ! Mais Dieu l’a fait aussi faible que fanfaron, et bientôt redevenu tout petit, tout honteux, pleurant comme un enfant, et cherchant avec des pas timides à retrouver sa route, il saisit avec empressement les mains qui s’offrent à lui pour le guider. Ridicule, puérile et infortunée créature, qui ne veut pas accepter la destinée et ne sait pas s’y soustraire.

Ah ! ne nous moquons pas de cette condition misérable ; c’est celle de tous, et tous nous savons que sa mesquinerie, que son manque de grandeur et de force ne la rend que plus malheureuse et plus digne de compassion. Tant qu’on