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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/349

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moins que jamais de la vérité. Le rôle du critique demanderait, certes, des connaissances spéciales, de plus un coup d’œil calme et désintéressé, et il est bien difficile que ce calme et ce désintéressement soient l’apanage de quiconque sent sa destinée dans les mains du public. Sans exclure donc certains artistes dont l’expérience, la position faite ou le caractère exceptionnel donneraient des garanties suffisantes, j’accorderais peu de moyens de gouverner l’opinion à ceux qui ont personnellement et exclusivement besoin de l’opinion.

Et si cette foule de jeunes beaux-esprits qui vit du feuilleton se plaignait de n’avoir plus de moyens de publicité ou d’occasion de développement, je lui dirais : « Rendez grâces à des mesures qui vous forcent à travailler et à produire ; vous faisiez un métier d’eunuques et d’esclaves ; vous étiez condamnés à baigner, à déshabiller et à rhabiller sans cesse, à promener dans les rues les enfants des riches ; soyez pères à votre tour. Que vos enfants soient beaux ou difformes, forts ou malingres, vous les aimerez, car ils seront à vous. Votre vie de haine et de pitié se changera en une vie d’amour et d’espérance. Vous ne serez peut-être pas tous de grands hommes, mais du moins vous serez hommes, et vous ne l’êtes pas. »

Et si, pour être plus réfléchis et plus judicieux, les arrêts de la critique devenaient plus rares (ce qui serait inévitable), si les entrepreneurs de journaux se plaignaient du vide de leurs colonnes, le public de l’absence de feuilleton, pourquoi n’offrirait-on pas précisément ces pages blanches, hélas ! si désirées et si difficiles à aborder, à tous ces talents inconnus et modestes qui répugnent à faire de la critique sans expérience, et qui cherchent vainement les moyens de percer l’obscurité où ils s’éteignent, faute d’un éditeur qui les devine et qui leur prête son papier et ses caractères gratis ? Pourquoi tous ces jeunes feuilletonistes, que l’on force à se tenir, comme des pompiers ou des exempts de police, à