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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/350

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toutes les représentations nouvelles, et à écrire gravement toute la nuit sur les plus ignobles pasquinades des petits théâtres, (sauf à citer le déluge à propos d’un chapon), ne seraient-ils pas appelés à publier quotidiennement ces poëmes et ces romans qui dorment dans le portefeuille ou qui sommeillent dans le cerveau, étouffés par les nécessités d’un métier abrutissant[G] ? Pauvres enfants jeunes lévites de l’art, flétris dans la fleur de votre talent par les exigences scandaleuses de la presse, vous qui eussiez été avec joie, avec douceur, avec amour, et avec profit surtout, les disciples des grands maîtres, ne craignez pas que je vous condamne sans pitié, et que je méconnaisse ce qu’il y eut, ce qu’il y a peut-être encore de grand et de pur en vous ! Je sais vos secrets, je connais vos déboires, j’ai soulevé la coupe de vos douleurs ! Je sais que plus d’un parmi vous, assis la nuit dans sa mansarde froide et misérable, forcé d’avoir le lendemain (ce qui équivaut aujourd’hui au pain des artistes d’autrefois) un habit propre et des gants neufs, à laissé tomber son visage baigné de larmes sur les pages de quelque beau livre nouveau que la haine ou l’envie lui avait prescrit d’injurier, et que ses profondes sympathies le forçaient se jeter loin de lui afin de pouvoir condamner l’artiste sans l’entendre. Pitié à vous qui avez été forcés de rougir de vous-mêmes ! Honte et malheur à vous qui vous êtes habitués à ne plus rougir !

Mais pourquoi, maître, vous ai-je entretenu si longtemps de la critique française ? Vous êtes placé trop haut pour vous occuper d’elle à ce point, et peut-être ignorez-vous seulement qu’elle ait tâché de disputer au public européen les palmes qu’il vous tend de toutes parts ? Loin de moi la pensée grossière de vous consoler de quelques injustices