Page:Sand - Malgretout.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je n’avais pas fait quelque énorme bévue. Il avait joué l’air de danse si follement, qu’on ne pouvait dire si son exécution était celle d’un maître en gaieté ou celle d’un saltimbanque adroit ; mais les phrases de ma chanson qu’il avait interprétées auparavant étaient comme une traduction idéalisée par un véritable artiste. Pourtant il avait pris l’argent avec une joie évidente. Ce pouvait être un homme de talent aux prises avec la misère. Dans cette hypothèse, je regrettai de n’avoir eu sur moi que cette pièce de cinq francs.

Durant le dîner, mon père demanda à Sarah le résumé de sa grande promenade aux Dames de Meuse. Elle n’avait pas vu de dames, elle avait vu un monsieur qui l’avait fait danser. Son récit n’était pas très-clair, et je dus le rendre intelligible en racontant le fait avec détail. Je n’avais pas de raisons pour rien atténuer, et je fis part à mon père et à ma sœur de ce que j’avais trouvé d’étrange et de frappant dans le personnage. Adda se moqua de moi, disant qu’à force de bienveillance, je tournais au romanesque, que j’éprouvais le besoin de voir partout des aventures, et que je prenais pour un héros d’opéra-comique un bohémien dont la rencontre eût pu n’être pas très-drôle.

Je me laissai plaisanter. J’étais contente de voir ma sœur taquine et enjouée au lendemain de ses relevailles. La petite Sarah s’était approchée de la fenêtre ; elle interrompit notre causerie en s’écriant :