Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/236

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fort laid avec ses yeux de quinze ans, et la tante, qui avait passé quelque peu la trentaine, voulait m’enchaîner et m’enrichir en m’épousant. J’éloignai la question le plus possible ; mais, quand je vis qu’elle y tenait avec l’obstination que ces insulaires portent dans leurs excentricités, je fis mon portemanteau et me glissai, à l’aube naissante, hors des jardins d’Armide. Je n’ai plus entendu parler de milady, qui était pourtant une belle et bonne créature, — et je préférai épouser une petite Colombine dont j’étais amoureux, laquelle me quitta pour un Lindor toulousain qui disait à l’habilleur au moment d’entrer en scène : Dônez-moi mes bôtes môles. J’eus grand tort d’épouser cette baladine, mais j’eus grand’raison de la préférer à la vertueuse et romanesque Anglaise. Colombine, en reprenant sa liberté, n’a pas emporté la mienne. En me préférant un âne, elle ne m’a pas ôté mon esprit ; enfin, en n’appréciant ni mon talent ni mon cœur, elle a laissé intacts mon cœur et mon talent.

— J’entends, lui dis-je ; une femme qui vous eût donné la fortune et la considération aurait eu moralement sur vous droit de vie et de mort.

— Et plus elle eût mis de douceur à m’accapa-