Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

interpréter qu’une loi inique, à laquelle leurs sophismes ne peuvent rendre la vie. Les heureux de la terre, les privilégiés de l’inégalité, eussent-ils l’intention d’alléger la misère publique, qui les menace d’une guerre d’extermination, ne trouveront pas dans les suggestions de la peur l’inspiration divine, qui seule peut résoudre les problèmes réputés insolubles. La prudence, le remords ou la crainte, n’enfantent que des palliatifs ; et un moment vient, dans la vie des sociétés, où tous les palliatifs sont insuffisants, par conséquent impuissants. L’enthousiasme de la foi improvise seul les grands dénoûments de l’histoire ; et si le peuple n’a pas encore vu la lumière embraser ses masses compactes, du moins il aperçoit sur les sommités où montent ses pensées, et il voit par les yeux de ses poètes et de ses philosophes (car il en a aussi), les lueurs qui pointent à l’horizon. Sans qu’il soit besoin de devancer la marche du temps pour lui attribuer un génie et des vertus encore impossibles à tous, le peuple a en lui les éléments naturels et vivaces qui conduisent aux grandes inspirations politiques, aux grandes révélations religieuses : c’est tout un dans l’avenir ! Il a le profond sentiment de sa dignité méconnue l’amère souffrance de son orgueil blessé ; c’est l’indignation, et l’indignation fondée enfante la force héroïque. Il a les atroces douceurs de la misère, qui éveillent dans chaque être infortuné une pitié déchirante, une tendre sympathie pour les maux de tous ; c’est la commisération, et la commisération bien sentie conduit à la charité brûlante. Il a la liberté d’esprit (dangereuse pour les gouvernements), à laquelle le condamne l’absence de droits politiques ; et cette oisiveté politique engendre les rêves profonds, l’aspira-