Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/180

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marqués, assez généraux dans le peuple, pour croire que l’heure de son émancipation soit prochaine : « Ils ont encore grand besoin de guides, disent-ils, ces enfants qui ne connaissent pas leur propre chemin. Il faut que d’autres yeux voient pour eux ; ces aveugles se briseraient contre les écueils ! » Ainsi, d’une part, les conservateurs s’arrogent fièrement le droit de conduire le peuple où ils veulent, fût-ce dans l’abîme ; de l’autre, les démocrates sincères mais craintifs attribuent dans les destinées du peuple une importance exagérée au parti de l’opposition groupé selon les nécessités constitutionnelles, c’est-à-dire composé de bourgeois moins riches et plus humains que les autres.

Que ces derniers aient infiniment plus de cœur et d’intelligence que les privilégiés du monopole, nous n’en doutons aucunement ; que ce parti de l’opposition soit généralement composé d’hommes éclairés, courageux et sincères, nous aimons à le proclamer ; qu’il y ait même de hautes lumières dans les régions heureuses de la société, de grandes âmes qui ont une vue prophétique de l’avenir, nous en sommes intimement persuadé ; mais ces dernières individualités généreuses et puissantes sont des exceptions, et, comme on le dit proverbialement, servent à confirmer la règle. On peut dire de l’opposition bourgeoise en général qu’elle a encore une grande valeur morale pour le présent, puisqu’elle seule peut et veut quelque chose pour amener par les moyens constitutionnels l’émancipation du peuple, mais qu’elle n’a plus une grande valeur poiitique et sociale ; car le système constitutionnel est précisément bâti tout exprès, et le plus prudemment possible, pour lui ôter tous ses