Page:Sand - Valvèdre.djvu/155

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vous-même la délicatesse de ne pas me le reprocher. Un grand amour est-il donc la satisfaction des appétits aveugles ? Où serait le mérite, et comment deux âmes élevées pourraient-elles se chérir et s’admirer l’une l’autre pour la satisfaction d’un instinct ?… Non, non, l’amour ne résiste pas à de certaines épreuves ! Dans le mariage, l’amitié et le lien de la famille peuvent compenser la perte de l’enthousiasme ; mais dans une liaison que rien ne sanctionne, que tout froisse et combat dans la société, il faut de grandes forces et la conscience d’une lutte sublime. Je vous crois capable de cela, et moi, je sens que je le suis. Ne m’ôtez pas cette illusion, si c’en est une. Donnez-moi quelque temps pour la savourer. Si nous devons succomber un jour, ce sera la fin de tout, et du moins nous nous souviendrons d’avoir aimé !

Alida parlait mieux que je ne sais la faire parler ici. Elle avait le don d’exprimer admirablement un certain ordre d’idées. Elle avait lu beaucoup de romans ; mais, pour l’exaltation ou la subtilité des sentiments, elle en eût remontré aux plus habiles romanciers. Son langage frisait parfois l’emphase, et revenait tout à coup à la simplicité avec un charme étrange. Son intelligence, peu développée d’ailleurs, avait sous ce rapport une véritable puissance, car elle était de bonne foi, et trouvait, au service du sophisme même, des arguments d’une admirable sincérité : femme dangereuse s’il en fut, mais dangereuse à elle-même plus qu’aux autres, étrangère à toute perversité, et