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NATURELS 24 AGENTS NATURELS

e ses canrices. Ni les fleuves. ni les mon- le travail de l’homme a la Dlus grande part

que ses caprices. Ni les fleuves, ni les montagnes ne sont répandus suivant un ordre égal ; le courant et le débit d’eau des uns, la hauteur des autres ne sont nulle part les mêmes. Les marées, très fortes dans la Manche, se font à peine sentir dans la Méditerranée. L’inégalité règne en maîtresse dans la distribution des forces naturelles. Et il semblerait que la terre, dont chaque coin, pour ainsi dire, donne un produit spécial utile à l’homme, ne soit faite que pour être un unique et vaste atelier où la coopération sans entraves s’impose dans l’intérêt de tous. C’est cette inégalité des agents naturels qui a été l’un des facteurs les plus puissants du rapprochement des peuples et de la civilisation ; de même que l’inégalité des aptitudes et les avantages dé la division du travail ont été le lien le plus fort pour maintenir les hommes en société.

Cependant, bien qu’inégales dans leur intensité, les forces physiques ont partout les mêmes lois ; mais elles ne présentent pas à première vue des phénomènes identiques ou tout au moins semblables. Elles sont plus nuisibles qu’utiles à l’homme primitif ; elles le déconcertent et l’effrayent par leurs manifestations infinies. Que l’on se figure les multiples conséquences des lois de la gravitation universelle, et particulièrement de la pesanteur. L’avalanche qui roule, l’eau qui tombe, la sève qui, par capillarité, monte dans la plante, sont des faits issus d’une même cause et qui pouvaient paraître bien différents aux gens de l’âge de pierre. Le hasard avait alors la plus grande part dans la vie des premiers groupes. La nécessité et le besoin ont néanmoins poussé l’homme ; lentement, après de nombreux siècles de tâtonnements, il estarrivé à réunir des observations, à découvrir les lois de la nature, à les réduire à leur plus simple expression. C’est ainsi qu’il a diminué l’action du hasard sur sa vie et qu’il cherche chaque jour, dans le même but à éliminer le plus qu’il peut d’inconnues. Des agents naturels qui étaient ses ennemis, il a fait ses plus puissants auxiliaires. Aujourd’hui, il travaille à conserver et à entretenir ces forces qu’il considérait jadis comme fatales.

Les agents naturels ne peuvent être utilisés sans travail. La mer, les fleuves sont des agents naturels de transport ; pour s’en servir, il faut construire des navires, creuser des ports, canaliser certains fleuves ou indiquer par des signaux les obstacles qu’ils présentent à la navigation. Et non seulement il est nécessaire de diriger, de régulariser les forces des agents naturels, mais encore la conservàtion de leurs qualités bienfaisantes doit être l’objet de soins constants. Les œuvres où

le travail de l’homme a la plus grande part ne sont pointseules soumises àla destruction. Abandonnés à eux-mêmes, les agents naturels tendent plutôt à détruire qu’à produire. La terre la plus fertile, si on ne la cultive pas assidument, se couvrirade mauvaises herbes ; les phénomènes de la vie végétale agissent toujours pour les plantes nuisibles comme pour les plantes utiles. Les fleuves débordent ou s’ensablent, certains détruisent peu à peu leurs sources et charrient vers la mer les montagnes d’où ils descendent. L’homme soutient une lutte continue contre cette destruction, qu’elle vienne de sa faute ou de causes naturelles il construit des digues, élève des écluses, reboise les montagnes, et ne peut s’arrêter dans sa conquête sans craindre d’être vaincu.

L’inégalité de distribution des agents naturets fait que quelques contrées se trouvent privilégiées, qu’elles offrent à l’homme des forces plus faciles à diriger, à utiliser. Ces avantages augmentent évidemment, dans une certaine mesure, la puissance productive du peuple qui sait en user, car il ne suffit pas de posséder un territoire fertile, susceptible de productions variées et abondantes, il faut encore féconder par le travail ces agents naturels. Les Hindous sont l’exemple frappant d’un peuple qui n’a pas su se servir d’une contrée cependant pleine de ressources. Et même, pour un peuple où le travail est développé et l’énergie économique vivace, les avantages du sol, du climat, ne sont pas toujours une cause de prospérité continue. Là, les richesses sont plus facilement produites, mais la lutte contre la nature, moins âpre, laisse aux hommes un répit qu’ils emploient à lutter entre eux pour obtenir une plus grande part des richesses produites. Thucydide a très bien observé, pour la Grèce, que les dissensions, les luttes intestines, étaient nées du désir de se partager les dépouilles des meilleures parties de ce pays. Outre les guerres intérieures, ces nations ont à redouter les guerres extérieures. Leurs voisins, moins bien placés, convoitent un sol, un atelier où, avec moins de travail, on obtient plus de produits, et tentent de s’en emparer par la force. Ces privilégiés, s’ils éprouvent moins de difficultés que d’autres à se servir des agents naturels, ont un grand travail à développer pour organiser leur société et la maintenir en paix. Comme l’a dit Darwin, la lutte entre individus de la même espèce est la plus terrible. Quelle que soit l’ardeur que met l’homme à combattre la nature, elle n’égale malheureusement pas l’acharnement dont il fait preuve à l’égard de ses semblables. Par contre, des peuples placés sur des


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