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essai sur le libre arbitre

rouelle[1] sur un support bien graissé et par un vent inconstant ; elle se tourne aussitôt du côté de chaque motif que l'imagination lui représente ; tous les possibles influent sur elle tour à tour ; et l'homme croit à chaque fois qu’il est dans son pouvoir de vouloir telle ou telle chose, et de fixer la girouette en telle ou telle position ; ce qui est une pure illusion. Car son affirmation « je peux vouloir ceci » est en vérité hypothétique, et il doit la compléter en ajoutant : « si je ne préfère telle autre chose. » Mais cette restriction seule suffit pour infirmer l'hypothèse d’un pouvoir absolu du moi sur la volonté. — Reprenons l’exemple de tout à l’heure, notre individu qui délibère à six heures du soir, et figurons-nous qu’il s’aperçoive tout à coup que je me tiens derrière lui, que je philosophe sur son compte, et que je lui conteste la liberté d’accomplir tous les actes qui lui sont possibles ; alors il pourrait facilement arriver que, pour me contredire, il en accomplit un quelconque : mais en ce cas ce serait justement l’expression de mon doute et l’influence qu’elle a exercée sur son esprit de contradiction, qui auraient été les motifs nécessitants de son action[2].

  1. Comparaison reprise de Bayle.
  2. Les déterministes réfutent ainsi l’argument puéril dit des paris, qui vaut tout au plus contre le fatalisme mahométan, et qu’on s’étonne de retrouver dans Le Devoir (p. 5). M. Fouillée en a fait justice. (Liberté et Déterminisme, p. 15)