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LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE

tence : mais par ce que nous faisons seulement, nous apprenons ce que nous sommes.

C’est aussi sur cette conviction, sinon clairement analysée, du moins pressentie, de la rigoureuse nécessité de tout ce qui arrive, que repose l’opinion si fermement établie chez les anciens au sujet du Fatum, l’εἱμαρμένη, comme aussi le fatalisme des Mahométans[1] ; j’en dirai autant de la croyance aux présages, si répandue et si difficile à extirper, précisément parce que même le plus petit accident se produit nécessairement, et que tous les événements, pour ainsi dire, marchent en mesure sous une même loi, de manière que tout se répercute dans tout. Enfin cette croyance implicite peut servir à expliquer pourquoi l’homme, qui, sans la moindre intention et par un pur hasard, en a tué ou estropié un autre, porte toute sa vie le deuil de ce piaculum, avec un sentiment qui semble se rapprocher du remords, et subit aussi de la part de ses semblables une espèce particulière de discrédit en tant que persona piacularis (homme de malheur). Il n’est pas jusqu’à la doctrine chrétienne de la prédestination[2], qui ne soit

  1. Les philosophes anciens ont presque toujours confondu le fatalisme avec le déterminisme, qui en est, si l’on peut dire, la forme scientifique. Il est curieux de suivre sur ce point les oscillations de la pensée d’un profond penseur comme Tacite, V. infrà, note 1 de la page ult.
  2. Cette doctrine, comme on l’a remarqué, ressemble