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mes prédécesseurs

les instincts primitifs de sa nature, est l'ouvrage. Donc la condition indispensable de la responsabilité morale de l’homme est son aséité, c’est-à-dire, qu’il soit lui-même son propre ouvrage[1].

Toutes les considérations exposées précédemment sur cette épineuse question font concevoir quelles immenses conséquences sont attachées à la croyance au libre arbitre, qui creuse un abîme sans fond entre le créateur et les péchés de sa créature. Aussi n’est-il pas surprenant que les théologiens adhèrent si obstinément à cette doctrine, et que leurs humbles serviteurs et défenseurs[2], les professeurs de philosophie, les appuient avec tant d’ardeur et un si profond sentiment de leurs devoirs envers eux, que, sourds et aveugles en présence des dénégations les plus concluantes des grands penseurs, ils soutiennent le libre arbitre et combattent pour lui, comme pro aris et focis.

Mais pour terminer enfin mon examen de l’opinion de saint Augustin, je dirai qu’elle peut se réduire à ceci, que l'homme n’a eu un libre arbitre absolu qu’avant sa chute, mais que depuis, devenu la proie du péché, il n’a plus à espérer son salut que de la prédestination et de la rédemption, — ce qui s’appelle parler en vrai Père de l’Église.

  1. V. la note de la page 32.
  2. Schildknapp, écuyer qui portait le bouclier du chevalier.