Page:Schopenhauer - Essai sur le libre arbitre, 1880, trad. Reinach.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
essai sur le libre arbitre

tendu, du moins en dehors des maisons de fous[1].

En Angleterre ou en France, la philosophie est

  1. 1. Lorsqu’un philosophe fondateur de système en attaque un autre avec un parti pris de dénigrement et de violence, ce n’est ordinairement pas dans une divergence de vues qu’il faut chercher la raison dernière de cette animosité. Plus souvent, au contraire, l’esprit de rivalité oppose ceux-là mêmes que la ressemblance des doctrines devrait rapprocher. Irrité de s’être vu précéder dans une voie qu’il voudrait avoir frayée, tel renversé d’une main les anciens systèmes pour les réédifier de l’autre sous son nom : et, plus soucieux d’une originalité illusoire que du triomphe de ses opinions, il combat moins vivement ceux qui lui font opposition que ceux qui lui font ombrage. Mais si parfois l’amour-propre s’y abuse, la critique philosophique ne s’y trompe pas, et l’exemple n’est pas rare de ces novateurs qui, par leur sévérité pour leurs devanciers, ont fait soupçonner qu’ils avaient parmi eux des précurseurs. De ce nombre est Schopenhauer, si injuste envers deux grands hommes, Leibniz et Hegel, et qui pourtant a emprunté à l’un sa conception fondamentale du dynamisme, à l’autre son idée de la finalité inconsciente, des ruses de la nature (Schopenhauer dit : de la volonté) et bien d’autres encore (dans son Esthétique surtout), qu’il s’est contenté de modifier à la surface. Aussi ne faut-il point perdre de vue, en lisant ces diatribes parfois justifiées contre Hegel et son obscurité calculée, que si la vérité ne leur fait pas toujours défaut c’est au fond le désir de la dissimuler qui les inspire. — Voici d’ailleurs quelques autres spécimens de cette polémique peu courtoise contre trois des plus grands penseurs allemands de ce siècle : on verra comment Schopenhauer respecte en autrui cette liberté des opinions qu’il accuse Hegel d’avoir violée : « En accordant à Fichte l’appellation d’homme de talent (quelque loin qu’il soit d’être un summus philosophus), je l’ai placé bien au-dessus de Hegel. C’est sur le compte de celui-là seul que j’ai prononcé, sans commentaire et dans les termes les plus catégoriques, ma condamnation non qualifiée. Car cet homme, j’en ai la conviction, ne manque pas seulement de toute espèce de mérite en tant que