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appendice i

finité, si l’on trouve, l’expérience faite, que par l’intervention d'un obstacle fortuit une des substances n’a pas pu réagir, l’expérience est considérée comme absolument sans valeur.

La liberté intellectuelle, que nous avons vue complètement supprimée dans les exemples précédents, peut dans d’autres cas n’être que diminuée ou abolie partiellement. C’est ce qui arrive surtout dans l'ivresse et dans la passion. La passion est l’excitation soudaine, violente de la volonté[1], par une représentation qui pénètre par le dehors et acquiert la force d’un motif ; cette représentation possède une telle vivacité qu’elle obscurcit et ne laisse pas arriver jusqu’à l'entendement toutes celles qui pourraient agir contrairement en tant que motifs opposés. Ces représentations, qui sont pour la plupart d’une nature abstraite, de simples pensées, tandis que celle qui excite la passion est quelque chose de présent et de sensible, ne peuvent pas influer au même titre sur le résultat final et n'ont donc pas ce que les Anglais appellent « fair play » (jeu équitable, chances égales). L’action se trouve déjà accomplie, avant qu’elles puissent agir en sens contraire. C’est comme lorsque dans un duel un des adversaires tire avant le commandement. Ici encore, la responsabilité

  1. C’est plutôt le contraire qui est le vrai. L’état passionné, c’est-à-dire la prédominance d’un désir « exalté par l’imagination et nourri par l’habitude », correspond à une abdication passagère de la volonté, plutôt qu’à son degré de puissance le plus élevé, qui a lieu dans la calme possession de soi. Il est juste d’ajouter que la volonté, telle que l’entend ici Schopenhauer, équivaut presque au θύμος de Platon, pour lequel il est si difficile de trouver un équivalent dans notre langue.