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essai sur le libre arbitre

des volitions comme une chose entendue d’avance, sur le compte de laquelle on ne pouvait plus élever de doutes ; c’est ce que montrent tous les passages où il ne parle de la liberté qu’au point de vue théorique. Mais il restait vrai, d’autre part, que tous nos actes sont accompagnés de la conscience de notre pouvoir sur nous-mêmes, de notre causalité personnelle, ainsi que de celle de leur originalité[1]. Grâce à ce sentiment intime, nous les avouons comme notre œuvre propre, et chacun, avec une sécurité infaillible, se croit le véritable auteur de ses actes et moralement responsable de ce qu’il fait. Mais puisque la responsabilité présuppose la possibilité d’avoir agi autrement, et par suite la liberté, il s’en suit que le sentiment de la liberté est implicitement contenu dans celui de la responsabilité. Pour résoudre cette apparente contradiction, Kant appliqua sa profonde distinction entre le phénomène et la chose en soi, qui est le caractère dominant de toute sa philosophie et en constitue le principal mérite. La clef longtemps cherchée était enfin découverte.

L’individu, avec son caractère immuable et inné, rigoureusement déterminé dans toutes ses manifestations par la loi de causalité qui apparaît chez les êtres intelligents sous la forme de la motivation, est seulement un phénomène, La chose en soi qui lui sert de substratum est, en tant que située hors de l’espace et du temps, une et immuable, affranchie de la succession et de la pluralité[2]. Son essence en soi est le caractère intelligible, également présent

  1. Urspruenglichkeit.
  2. Pour Schopenhauer, le temps et l’espace sont les principia individnationis. (V. Schopenhauer et Frauenstœdt, dans la Revue Philosophique du 1er mars 1876).