Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/127

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lerai objectité de la volonté. On peut encore dire en un certain sens : La volonté est la connaissance a priori du corps ; le corps est la connaissance a posteriori de la volonté.

Les décisions de la volonté qui concernent l’avenir ne sont que des prévisions de la raison sur ce que l’on voudra à un moment donné, ce ne sont pas réellement des actes de volonté. C’est seulement l’exécution qui prouve la décision ; jusque-là elle n’est qu’un projet qui peut changer : elle n’existe que dans l’entendement, in abstracto. C’est pour la réflexion seule qu’il y a une différence entre vouloir et faire : en fait, c’est la même chose. Tout acte réel, effectif, de la volonté, est sur-le-champ et immédiatement un acte phénoménal du corps ; et par contre, toute action exercée sur le corps est par le fait et immédiatement une action exercée sur la volonté : comme telle, elle se nomme douleur, lorsqu’elle va à l’encontre de la volonté ; lorsqu’elle lui est conforme au contraire, on l’appelle bien-être ou plaisir. Leurs gradations sont différentes. On a tout à fait tort de donner au plaisir et à la douleur le nom de représentations ; ce ne sont que des affections immédiates du vouloir, sous sa forme phénoménale, le corps ; ils sont le fait nécessaire et momentané de vouloir ou de ne pas vouloir l’impression que subit le corps. Il n’y a qu’un petit nombre d’impressions exercées sur le corps qu’on puisse considérer immédiatement comme de simples représentations ; elles n’affectent pas la volonté, et, grâce à elles, le corps apparaît comme objet immédiat de la connaissance, objet que nous connaissons déjà médiatement, à l’égal de tous les autres, à titre d’intuition dans l’entendement. Nous voulons désigner par là les affections des sens purement objectives, celles de la vue, de l’ouïe, du tact ; mais ce n’est qu’autant que ces organes sont affectés d’une façon spécifique, particulière à eux, conforme à leur nature, et produisant une si faible excitation sur la sensibilité renforcée et spécifiquement modifiée de ces parties, que la volonté n’en soit pas ébranlée ; la volonté n’influe alors en rien sur cette excitation, qui se borne à livrer à l’entendement les données d’où va sortir l’intuition. Toute affection plus violente ou différente de ces organes est douloureuse, c’est-à-dire répugne à la volonté, à l’objectité de laquelle ces organes appartiennent aussi. — La faiblesse des nerfs se trahit, lorsque les impressions qui devaient avoir uniquement le degré de force suffisant pour devenir des données de l’entendement atteignent le degré supérieur, où elles excitent la volonté, c’est-à-dire produisent plaisir ou douleur ; mais le plus souvent, c’est une douleur obscure et vague ; non seulement certains sons et une vive lumière sont perçus douloureusement, mais ils occasionnent aussi une disposition hypocondriaque maladive qu’il est malaisé de définir. — Ailleurs encore, l’identité du corps et de la volonté se manifeste en ce que tout mouvement violent et exa-