Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/133

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explication de mon vouloir, dans son essence ; ils ne font que déterminer ses manifestations à un moment donné ; ils ne sont que l’occasion dans laquelle ma volonté se montre. La volonté, au contraire, est en dehors du domaine de la loi de motivation ; ses phénomènes seuls, à de certains points de la durée, sont nécessairement déterminés par elle. Au point de vue de mon caractère empirique, le motif est une explication suffisante de mes actions ; mais si je m’abstrais de ce point de vue, et si je me demande pourquoi, en général, je veux ceci plutôt que cela, aucune réponse n’est possible, parce que le phénomène seul de la volonté est soumis au principe de raison ; elle-même ne l’est pas, et pour ce motif on peut la considérer comme étant sans raison (grundlos). Je regarde comme connue la doctrine de Kant sur le caractère empirique et le caractère intelligible, aussi bien que ce que j’en ai dit moi-même dans les Problèmes fondamentaux de l’éthique (pp. 48-38 et pp. 178 et suiv. de la 1re édition, p. 174 et suiv. de la 2e édition) et tout ce qui s’y rapporte[1] ; d’ailleurs, nous nous étendrons plus longuement là-dessus dans le quatrième livre. J’ai simplement à faire remarquer ici que la raison d’être d’un phénomène par un autre, c’est-à-dire ici la raison d’être de l’acte par le motif, ne s’oppose en rien à ce que son essence soit la volonté, qu’elle-même n’a aucun fondement, puis que le principe de raison, dans toutes ses manifestations, n’est que la forme de la connaissance, et que sa valeur ne s’étend qu’à la représentation, au phénomène, à la visibilité de la volonté, et non à la volonté elle-même qui devient visible.

Dès lors, tout acte de mon corps est le phénomène d’un acte de ma volonté, dans lequel s’exprime, en vertu de motifs donnés, ma volonté même, en général et dans son ensemble, c’est-à-dire mon caractère ; mais la condition nécessaire et préalable de toute action de mon corps doit être aussi un phénomène de la volonté, car sa manifestation ne saurait dépendre de quelque chose qui ne serait pas immédiatement et uniquement par elle, qui ne lui appartiendrait que par hasard (auquel cas sa manifestation elle-même serait un effet du hasard) : cette condition, c’est le corps dans son ensemble. Il doit donc être déjà un phénomène de la volonté et se trouver avec ma volonté dans son ensemble, c’est-à-dire mon caractère intelligible, dont le phénomène, dans le temps, est mon caractère empirique, dans le même rapport qu’un acte isolé du corps avec un acte isolé de la volonté. Ainsi mon corps n’est pas autre chose que ma volonté devenue visible ; il est ma volonté même, en tant qu’elle est objet de l’intuition, représentation de la première catégorie. — À l’appui de cette proposition, nous avons

  1. Voir le Fondement de la morale, traduction de A. Burdeau, p. 80 et suiv.