Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/139

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§ 23.


La volonté, comme chose en soi, est absolument différente de son phénomène et indépendante de toutes les formes phénoménales dans lesquelles elle pénètre pour se manifester, et qui, par conséquent, ne concernent que son objectité et lui sont étrangères à elle-même. Même la forme la plus générale de la représentation, celle de l’objet, par opposition avec le sujet, ne l’atteint pas ; encore moins les formes soumises à celle-ci, et dont l’expression générale est le principe de raison, auquel appartiennent l’espace et le temps, et par conséquent la pluralité qui résulte de ces deux formes et qui n’est possible que par elles. Sous ce dernier point de vue, j’appellerai l’espace et le temps, — suivant une vieille expression de la scolastique, sur laquelle j’attire l’attention une fois pour toutes, — principium individuationis ; car c’est par l’intermédiaire de l’espace et du temps que ce qui est un et semblable dans son essence et dans son concept nous apparaît comme différent, comme plusieurs, soit dans l’ordre de la coexistence, soit dans celui de la succession. Ils sont par conséquent le principium individuationis, l’objet de toutes les disputes et de toutes les contestations de la scolastique, — que l’on trouve réunies dans Suarez (Disput., 5, sect. 3). La volonté, comme chose en soi, est, ainsi que nous l’avons dit, en dehors du domaine du principe de raison, sous toutes ses formes ; elle est, par conséquent, sans raison (grundlos), bien que chacun de ses phénomènes soit complètement soumis au principe de raison ; elle est complètement indépendante de la pluralité, bien que ses manifestations dans le temps et dans l’espace soient infinies. Elle est une, non pas à la façon d’un objet, dont l’unité n’est reconnue que par opposition avec la pluralité possible ; pas davantage à la façon d’un concept d’unité, qui n’existe que par abstraction de la pluralité. Mais elle est une comme quelque chose qui est en dehors de l’espace et du temps, en dehors du principe d’individuation, c’est-à-dire de toute possibilité de pluralité. C’est seulement après l’étude des phénomènes et des manifestations de la volonté, — et nous allons l’entreprendre, — que nous comprendrons clairement le sens de cette proposition kantienne, à savoir que l’espace, le temps et la causalité ne conviennent pas à la chose en soi, mais ne sont que des formes de la connaissance.