Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/160

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phénomènes de tous les jours qui passent inaperçus sous nos yeux nous frappent ici ; nous saisissons tout le mystère qu’il y a dans la dépendance de l’effet et de la cause, dépendance qui nous semble la même qu’entre la formule magique et l’esprit qu’elle évoque. Par contre, avons-nous pénétré dans cette notion philosophique qu’une force naturelle est un degré de l’objectivation de la volonté, c’est-à-dire de ce que nous reconnaissons pour notre essence propre ; — que cette volonté en elle-même, et indépendamment de son phénomène et de ses formes, se trouve en dehors du temps et de l’espace ; — que la pluralité dont ces formes sont la condition ne se rattache ni à la volonté, ni directement à son degré d’objectivation, c’est-à-dire à l’idée, mais d’abord au phénomène de cette idée, et que la loi de causalité n’a de signification qu’en fonction du temps et de l’espace, en ce sens que, dans le temps et l’espace, réglant l’ordre dans lequel ils doivent apparaître, elle assigne leur place aux multiples phénomènes des différentes idées par où se manifeste la volonté ; — avons-nous, dis-je, reconnu, en pénétrant jusqu’au sens profond du grand enseignement de Kant, que le temps, l’espace et la causalité n’appartiennent pas à la chose en soi, mais seulement à son phénomène ; qu’ils ne sont que des formes de notre connaissance, et non pas des attributs essentiels de la chose en soi : alors cet étonnement devant la ponctuelle régularité d’action d’une force naturelle et la parfaite uniformité de ses millions de manifestations qui se produisent avec une infaillible exactitude, deviendra pour nous semblable à l’étonnement d’un enfant ou d’un sauvage qui, pour la première fois, voyant une fleur à travers un cristal à mille facettes, aperçoit des milliers de fleurs identiques et s’en émerveille, et se met a compter une à une les feuilles de chacune de ces fleurs.

À son origine et dans son universalité, une force naturelle n’est dans son essence rien autre chose que l’objectivation, à un degré inférieur, de la volonté. Un tel degré, nous l’appelons une idée éternelle, au sens de Platon. Une loi de la nature, c’est le rapport de l’idée à la forme de ses phénomènes. Cette forme, c’est le temps, l’espace et la causalité liés entre eux par des rapports et un enchaînement nécessaires, indissolubles. Par le temps et l’espace l’idée se multiplie en d’innombrables manifestations ; quant à l’ordre d’après lequel se produisent ces manifestations dans ces formes de la multiplicité, il est déterminé par la loi de causalité ; cette loi est en même temps la norme qui marque la limite des manifestations des différentes idées ; c’est d’après elle que l’espace, le temps et la matière sont répartis dans les phénomènes : d’où vient que cette norme a un rapport nécessaire avec l’identité de toute la matière donnée, qui est le substrat commun de tous ces phénomènes. Que ceux-ci n’appartiennent pas à cette matière commune dont ils ont