Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/174

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de vivre se refait constamment de sa propre substance et, sous les diverses formes qu’elle revêt, constitue sa propre nourriture. Enfin la race humaine, qui est arrivée à se soumettre toutes les autres, considère la nature comme une immense fabrique répondant à la satisfaction de ses besoins, et finit par manifester en elle, comme nous le verrons dans le quatrième livre, et cela de la façon la plus évidente, ce divorce de la volonté : dès lors se vérifie l’adage : « homo homini lupus. » En attendant, nous reconnaîtrons la même lutte, la même domination aux degrés inférieurs de l’objectivité de la volonté. Beaucoup d’insectes (et notamment les ichneumons) déposent leurs œufs sur la peau et même dans le corps des larves d’autres insectes, dont la lente destruction sera le premier ouvrage du germe qui va éclore. Le jeune polype à bras qui sort du vieux comme un rameau, et qui s’en sépare ultérieurement, lui dispute, lorsqu’il est encore attaché à lui, la proie qui peut se présenter, si bien que l’un l’arrache de la bouche de l’autre (Trembley, Polypod., II, p. 110, et III, p. 165). Dans ce genre, la fourmi bouledogue d’Australie présente un exemple frappant : Lorsqu’on la coupe en deux, une lutte s’engage entre la tête et la queue : celle-là commence à mordre celle-ci, qui se défend bravement avec l’aiguillon contre les morsures de l’autre ; le combat peut durer une demi-heure, jusqu’à la mort complète, à moins que d’autres fourmis n’entraînent les deux tronçons. Le fait se renouvelle chaque fois (Galignani’s Messenger 17 nov. 1855). Au bord du Missouri, on voit souvent un chêne énorme tellement enlacé et garrotté par une liane géante, qu’il finit par mourir comme étouffé. Le même fait se reproduit, aux degrés inférieurs, comme par exemple lorsque, par assimilation organique, l’eau et le carbone se changent en sève végétale, ou lorsque le végétal ou le pain se transforment en sang ; partout enfin où la sécrétion animale se produit, qui astreint les forces chimiques à n’agir qu’avec une activité subordonnée. De même encore, dans le règne inorganique, quand deux cristaux en voie de formation viennent à se rencontrer, ils se croisent et se contrarient mutuellement, au point de ne pouvoir plus montrer la forme pure de leur cristallisation, en sorte que chacun des groupes de molécules offre l’image de cette lutte de la volonté à un degré si bas d’objectivation ; ou bien encore, quand l’aimant impose au fer son magnétisme, afin d’y manifester à son tour son idée ; ou bien quand le galvanisme triomphe des affinités électives, décompose les composés les plus stables et supprime à tel point les lois chimiques, que l’acide d’un sel décomposé au pôle négatif se rend au pôle positif, sans pouvoir s’allier aux alcalis qu’il doit traverser, sans même pouvoir rougir le tournesol qu’on a mis sur sa route. Cela se reproduit en grand dans le rapport que souffre un corps céleste central avec sa planète : celle-ci, quoique se