Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/181

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nourrir d’elle-même, puisque, hors d’elle, il n’y a rien, et qu’elle est une volonté affamée. D’où lutte, anxiété et souffrance.

Ainsi, la connaissance de l’unité de la volonté comme chose en soi, dans la variété et la multiplicité infinie des phénomènes, nous donne seule la vraie explication de cette analogie merveilleuse, et qu’on ne peut méconnaître, entre toutes les productions de la nature, de cette ressemblance de famille qui les fait considérer comme des variations d’un même thème, qui n’est pas donné. De même, par la connaissance claire et profonde de cette harmonie, de cet enchaînement essentiel de toutes les parties qui constituent le monde, de cette nécessité de leur gradation que nous avons examinée plus haut, nous est ouverte une vue véritable et assez claire sur la nature intime et la signification de l’indéniable finalité de tous les produits naturels organiques, finalité qu’aussi bien nous admettons a priori dans cette étude et cette analyse.

Cette adaptation finale offre un double caractère : d’une part, elle est intime, c’est-à-dire qu’elle est une disposition de toutes les parties d’un organisme particulier, faite de sorte que la convenance de cet organisme et de son genre en résulte et apparaisse, par suite, comme le but de cette disposition. D’autre part, cette adaptation est extérieure, c’est-à-dire qu’elle est une relation de la nature inorganique avec la nature organique en général, ou aussi de quelques parties de la nature entre elles, qui rend possible la conservation de l’ensemble de la nature organique, ou de quelques espèces particulières. Aussi en concluons-nous que cette relation est un moyen pour atteindre cette fin.

La finalité intérieure se rattache de la manière qu’on va voir à notre étude précédente. Puisque, d’après ce qui précède, toute la variété des formes dans la nature et la multiplicité des individus ne concerne en rien la volonté, mais seulement son objectité et la forme de celle-ci, il en résulte nécessairement qu’elle est indivisible et subsiste intégralement dans chaque phénomène, bien que les degrés de son objectivation, les idées (platoniciennes) soient très variés. Nous pouvons, pour faciliter l’intelligence, considérer ces différentes idées comme des actes isolés et simples en soi de la volonté, dans lesquels son essence se manifeste plus ou moins ; mais les individus sont à leur tour des manifestations des idées et, par suite, de ces actes, dans le temps, dans l’espace et dans la multiplicité. — Un tel acte (ou une telle idée) conserve donc, aux degrés les plus bas de son objectité, son unité, même dans le phénomène ; tandis qu’aux degrés les plus élevés, il a besoin, pour se manifester, de toute une série d’états et de développements dans le temps, qui, à eux tous, constituent l’expression de son essence.