Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/240

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belles, selon qu’elles facilitent et provoquent plus ou moins la contemplation purement objective ; elles peuvent même la déterminer, en quelque sorte, d’une façon nécessaire, auquel cas nous qualifions la chose de très belle. Ce dernier caractère se présente dans deux circonstances : tantôt l’objet particulier, grâce à l’arrangement très clair, parfaitement précis, c’est-à-dire très significatif de ses parties, exprime avec pureté l’Idée du genre ; il réunit en lui toute la série des propriétés possibles de l’espèce, et par suite il en manifeste l’Idée d’une façon parfaite ; il facilite enfin dans une large mesure à l’observateur le passage de la chose particulière à l’Idée, passage qui aboutit pour lui à l’état de contemplation pure ; tantôt cette beauté supérieure d’un objet provient de ce que l’Idée qui nous parle par lui, correspond à un haut degré d’objectité de la volonté, auquel cas l’Idée devient singulièrement importante et instructive. Voilà pourquoi la beauté humaine dépasse toute autre beauté, voilà aussi pourquoi la représentation de l’essence de l’homme est le but le plus élevé de l’art. La forme humaine et son expression constituent l’objet principal de l’art plastique ; de même les actes de l’homme constituent l’objet principal de la poésie. — Chaque chose a pourtant sa beauté propre ; je ne parle pas seulement des organismes qui se présentent sous la forme de l’unité individuelle, mais aussi des êtres inorganiques privés de forme, et même de tout objet artificiel. Tout cela, en effet, exprime des Idées, bien que ce soient les idées qui correspondent aux plus bas degrés d’objectivité de la volonté ; ce sont là, en quelque sorte, les notes les plus profondes et les plus sourdes du concert de la nature. Pesanteur, résistance, fluidité, lumière, etc., telles sont les Idées qui s’expriment dans les rochers, dans les édifices, dans les eaux. Toute la vertu d’un beau jardin, d’un bel édifice se borne à faciliter le développement clair, complexe et complet des Idées, à donner aux Idées l’occasion de se manifester avec pureté ; c’est précisément par là qu’elles nous sollicitent et qu’elles nous conduisent à la contemplation esthétique. Au contraire, les édifices et les régions sans intérêt, enfants déshérités de la nature ou avortons de l’art, n’atteignent guère à ce but, si tant est qu’ils y atteignent ; mais malgré tout, les Idées universelles et fondamentales qui régissent la nature ne peuvent jamais leur faire complètement défaut. Ils disent encore quelque chose au spectateur qui les interroge ; il n’est pas jusqu’aux édifices mal compris qui ne puissent être l’objet de la contemplation esthétique : les Idées des propriétés les plus générales de leur matière y sont encore reconnaissables, bien que la forme artistique qu’ils ont reçue, loin de faciliter la contemplation esthétique, soit plutôt un obstacle et une difficulté. Ainsi les produits artificiels eux-mêmes servent à l’expression de l’Idée : toutefois ce n’est point