Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rivera que d’après le décret du destin ; mais ce décret nous ne le connaissons que par expérience, après coup.

Semblables aux événements, dont le cours est toujours réglé par le destin, par l’enchaînement interminable des causes, nos actions sont toujours conformes à notre caractère intelligible : mais pas plus que nous ne prévoyons le destin, nous n’avons a priori aucune lumière sur notre caractère ; c’est a posteriori, par expérience, que nous apprenons à nous connaître, nous-mêmes aussi bien que les autres. S’il résulte de notre caractère intelligible que, pour prendre telle bonne résolution, il nous faudra d’abord soutenir une longue lutte contre un désir mauvais, eh bien, nécessairement cette lutte aura lieu, avant tout, et jusqu’au bout. Mais, quelle que soit l’invariabilité de notre caractère, source unique d’où découlent nos actes, cette pensée ne doit point nous induire à anticiper sur la décision qu’il adoptera, à pencher d’avance vers un fait plutôt que vers l’autre : il faut attendre la résolution, qui arrivera a son heure, pour savoir quelle sorte de gens nous sommes : alors seulement nous pouvons nous mirer dans nos actes. Ainsi s’explique aussi la satisfaction ou le remords que nous ressentons à jeter un coup d’œil sur notre passé : ce n’est pas que ces actions passées aient encore quelque réalité ; elles sont passées, elles ont été, elles ne sont donc plus rien. Mais ce qui leur donne tant d’importance à nos yeux, c’est leur signification : nous y voyons l’image de notre caractère, le miroir de notre volonté ; en elles, nous contemplons notre moi dans son fond même, notre volonté en ce qu’elle a d’intime. Puis donc que cette volonté, nous ne la connaissons pas à l’avance, mais par expérience, ce nous doit être une raison de travailler dans la région du temps, de lutter pour faire que ce tableau, où par chacun de nos actes nous ajoutons une touche, soit fait pour nous rasséréner, non pour nous tourmenter. Quant à la signification même de cette sérénité et de ces tourments, c’est là, je l’ai déjà dit, ce que nous examinerons plus loin. Voici au contraire une remarque qui a droit de trouver place ici : elle est importante d’ailleurs.

Outre le caractère intelligible et le caractère empirique, : il en est encore un troisième, qu’il faut bien distinguer des autres, le caractère acquis : c’est celui qu’on se fait dans la vie et par l’usage du monde ; c’est de celui-là qu’on parle quand on loue un homme d’avoir du caractère, ou qu’on le blâme de n’en avoir pas. — Le caractère empirique, forme visible du caractère intelligible, étant par là même immuable, en sa qualité de phénomène naturel, conséquent avec lui-même, l’homme aussi, pourrait-on croire, devrait se montrer toujours pareil, conséquent, et n’avoir point besoin de se faire, à force d’expérience et de réflexion, un ca-