Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/449

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fruits de la foi elle-même ; mais elles ne sont nullement une marque de notre mérite ; elles ne nous justifient point ; elles ne nous donnent aucun droit à la récompense ; elles se produisent spontanément et gratuitement. — Nous aussi, à mesure que nous percions de plus en plus clairement le sens du principe d’individuation, nous avons dégagé en premier lieu la justice spontanée, ensuite l’amour poussé jusqu’à extinction complète de l’égoïsme, et enfin la résignation ou suppression complète de la Volonté.

Ces dogmes de la religion chrétienne ne se rattachent point directement à la philosophie ; néanmoins, je les ai appelés ici en témoignage : je n’ai eu en cela qu’une seule intention : j’ai voulu montrer que la morale issue de l’ensemble de nos études, morale d’ailleurs parfaitement conséquente et cohérente dans toutes ses parties, a beau être neuve et surprenante dans son expression, qu’elle ne l’est point dans le fond ; loin d’être une nouveauté, elle s’accorde pleinement avec les véritables dogmes chrétiens qui la contiennent en substance et la résument ; d’ailleurs, les dogmes chrétiens eux-mêmes s’accordent non moins parfaitement, malgré la radicale diversité des formes, avec les doctrines et les préceptes moraux, bien plus anciens, qui sont contenus dans les livres sacrés de l’Inde. Ces dogmes de l’Église chrétienne nous ont encore servi à expliquer et à élucider la contradiction apparente qui sépare, d’une part, la nécessité qui régit tous les phénomènes du caractère, étant donnés les motifs (c’est le règne de la nature), et, d’autre part, la liberté qu’a la volonté en soi de se nier elle-même et de supprimer le caractère en même temps que la nécessité des motifs, fondée sur le caractère lui-même (c’est le règne de la grâce).


§ 71.


Je viens de terminer l’esquisse de la morale et en même temps le développement de cette idée unique qu’il s’agissait d’exposer ; je me propose maintenant de m’occuper de la critique à laquelle prête la dernière partie de mon travail, non pour y échapper, mais, au contraire, pour faire voir qu’elle s’appuie sur l’essence même du sujet, et qu’il est absolument impossible de s’y soustraire. Voici, en résumé, cette critique : Une fois amenés, par nos spéculations, à voir la sainteté parfaite dans la négation et le sacrifice de tout vouloir, une fois affranchis, grâce à cette conviction, d’un monde dont toute l’essence se réduit pour nous à la douleur, le dernier