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de la volonté. Toutefois ces idées ne se laissent pas rigoureusement limiter et définir ; il s’agit toujours en réalité d’une seule et unique fonction de cet entendement, qui s’exerce chez tout animal capable de percevoir par intuition des objets dans un espace. Considérée à son plus haut point de développement, tantôt elle découvre dans les phénomènes naturels la cause inconnue de tel effet donné : elle fournit ainsi à la raison la matière d’où celle-ci tirera ses conceptions générales ou lois du monde ; tantôt, par l’application de moyens connus à quelque fin préméditée, elle invente des machines d’une ingénieuse complication ; tantôt enfin, analysant les motifs de la conduite, ou bien elle pénètre et déjoue les plus habiles intrigues, ou bien elle se sert de raisons appropriées aux différents caractères pour mettre les hommes en mouvement comme de purs automates, à l’aide de roues et de leviers, et pour les utiliser à l’accomplissement de ses desseins.

Le manque d’entendement est ce qu’on nomme proprement stupidité : c’est une sorte d’inaptitude à faire usage du principe de causalité, une incapacité à saisir d’emblée les liaisons soit de la cause à l’effet, soit du motif à l’acte.

L’homme inintelligent ne comprend jamais la connexion des phénomènes, ni dans la nature où ils surgissent spontanément, ni dans leurs applications mécaniques, où ils sont combinés en vue d’une fin spéciale ; aussi croit-il aisément à la sorcellerie et aux miracles. Un esprit fait de la sorte ne remarque pas que plusieurs personnes, en apparence isolées les unes des autres, peuvent, en fait, agir de concert ; il se laisse souvent jouer et mystifier ; il ne pénètre pas les secrètes raisons des conseils qu’on lui donne ou des jugements qu’il entend porter : un don lui manque, toujours le même : la vivacité, la rapidité, la facilité à appliquer le principe de causalité, en un mot la force de l’entendement. L’exemple de stupidité le plus frappant et le plus intéressant que j’aie jamais rencontré est celui d’un garçon de onze ans qui se trouvait dans une maison de fous : il était complètement idiot, sans toutefois être absolument privé d’intelligence, puisqu’il causait et comprenait ce qu’on lui disait ; mais il était pour l’entendement au-dessous de l’animalité. Toutes les fois que je venais, il considérait attentivement un lorgnon que j’avais au cou, et dans lequel se reflétaient les fenêtres de la chambre, avec les arbres situés derrière ; cela lui causait chaque fois le même étonnement joyeux et jamais il ne se lassait de le regarder avec une nouvelle admiration : c’est qu’il était incapable de concevoir d’emblée la cause de cette réflexion de la lumière.

Dans les différentes espèces animales, les degrés de l’entendement ne sont pas moins divers que dans l’humanité.

Chez toutes, et même chez celles qui se rapprochent du règne