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du primat de la volonté dans notre conscience

l’animal placé au plus bas de l’échelle, qui ne perçoit que sourdement, jusqu’à l’homme, et dans l’espèce humaine depuis l’imbécile, jusqu’à l’homme de génie. La volonté seule est partout elle-même, dans toute son intégrité. Car sa fonction est d’une simplicité extrême : elle consiste à vouloir et à ne pas vouloir ; et s’accomplit facilement, sans effort, et sans nécessité d’exercices préalables ; la connaissance au contraire a des fonctions multiples et ne s’opère jamais sans effort : il en faut pour fixer l’attention, pour préciser l’objet, et, à un degré supérieur, pour penser et réfléchir ; aussi la connaissance est-elle extrêmement perfectible par la pratique et l’éducation. Quand l’intellect présente à la volonté un simple objet intuitif, celle-ci prononce aussitôt un acquiescement ou un refus ; de même encore, quand l’intellect a péniblement examiné et pesé des données nombreuses, quand au moyen de combinaisons difficiles il est enfin arrivé au résultat qui semble le plus conforme à l’intérêt de la volonté, celle-ci, qui entre temps s’est reposée, fait son entrée comme le sultan dans la salle du Divan, pour prononcer comme à l’ordinaire un acquiescement ou un refus, fonction volontaire qui peut bien présenter des différences de degré, mais non une différence essentielle.

Cette différence fondamentale de nature entre la volonté et l’intellect, la simplicité et la spontanéité de l’une, la complexité et le caractère dérivé de l’autre, nous apparaîtra plus clairement encore, si nous suivons en nous-mêmes le jeu de cette influence réciproque, si nous examinons en détail, comment des images et des pensées qui surgissent dans l’intellect mettent la volonté en mouvement, et comment toutefois, en cette pénétration, le rôle de chacune des deux facultés est nettement tranché et distinct. Cette observation, nous pourrions la faire à propos des événements réels qui affectent vivement la volonté, alors qu’en eux-mêmes et tout d’abord ce sont de simples objets de l’intellect. Mais ce phénomène ne présente pas toutes les conditions de clarté voulues d’une part, il n’y paraît pas immédiatement que cette réalité comme telle n’existe tout d’abord que dans l’intellect ; en second lieu, le changement de cet élément intellectuel en élément volitif ne s’opère pas assez rapidement pour nous permettre de l’embrasser d’un seul coup d’œil et de le saisir nettement. Mais ces conditions favorables sont réalisées dans un autre cas, je veux dire quand nous laissons agir sur notre volonté de simples pensées, de simples imaginations. Quand, par exemple, seuls avec nous-mêmes, nous repassons par la pensée nos affaires personnelles, et que nous percevons nettement la menace d’un danger réel et la possibilité d’une issue mauvaise, aussitôt l’angoisse nous serre le cœur et le sang se fige dans nos veines. Si l’intellect passe à la possibilité de l’issue contraire et permet à