Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/307

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la bande qui fuyait agitant tumultueusement ses bras étrangement illuminés ; la bande qui marchait, serrée, dense, réglée, résolue, avec des membres qui agissaient en cadence, sans hésitation, sur des ordres silencieux. Les canons des fusils formaient une seule rangée de bouches meurtrières, d’où filaient de minces et longues lignes de feu, qui rayaient la nuit de leur sténographie mortelle. Par-dessus le ronflement continu, parmi les accalmies effrayantes, retentissait un crépitement singulier et ininterrompu.

Il y avait aussi des nœuds d’hommes, groupés trois à trois, quatre à quatre, cinq à cinq, entrelacés et obscurs, au-dessus desquels tournoyait l’éclair des sabres droits de cavalerie et des haches affilées, volées dans les arsenaux. Des individus maigres brandissaient ces armes, fendant les têtes avec fureur, trouant les poitrines avec joie, décousant les ventres avec volupté, et piétinant dans lés viscères.

Et, à travers les avenues, pareilles à des météores étincelants, de longues carcasses d’acier poli roulaient rapidement, traînées par des chevaux au galop, effarés, crinières flottantes. On eût dit des canons dont la volée et la culasse auraient le même diamètre ; derrière — une cage de tôle montée par deux hommes actifs, chauffant un brasier, avec une chaudière et un tuyau d’où s’échappait de la fumée ; devant — un grand disque brillant, tranchant, échancré, monté sur excentrique, et qui tournait vertigineusement devant la bouche de l’âme. Chaque fois