Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/306

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Les bâtiments, se disjoignant, s’ouvraient comme des pièces dentelées, couvrant l’ombre d’une nappe rouge : derrière les constructions qui s’abattaient des deux côtés, s’épanouissait l’orbe de l’incendie. Les masses croulantes semblaient d’énormes monceaux de fer rougi. La Cité n’était qu’un rideau de flammes, tantôt claires, tantôt bleu sombre, avec des points d’intensité profonde, où on voyait passer des noirceurs gesticulantes.

Les porches des églises étaient gonflés par la foule terrifiée, qui affluait de partout en longs rubans noirs ; les faces étaient tournées, anxieuses, vers le ciel, muettes d’épouvante avec les yeux fixes d’horreur. Il y avait là des yeux largement ouverts, à force d’étonnement stupide, et des yeux durs par les rayons noirs qu’ils lançaient, et des yeux rouges de fureur, miroitant des reflets de l’incendie, et des yeux luisants et suppliants d’angoisse, et des yeux pâlement résignés, où les larmes s’étaient arrêtées, et des yeux agités de tremblement par la prunelle qui voyageait sans cesse sur toutes les parties de la scène, et des yeux dont le regard était intérieur. Dans la procession des faces blêmes, on ne voyait de différents que les yeux ; et les rues, parmi les puits de lumière sinistre qui se creusaient à l’angle des trottoirs, semblaient bordées d’yeux mouvants.

Enveloppées dans une fusillade nourrie, des haies humaines reculaient sur les places, poursuivies par d’autres haies humaines qui avançaient implacablement ;