Page:Schwob - La Lampe de Psyché, 1906.djvu/124

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grand’mère était un chêne tordu, ou que le vieux hêtre qui regardait toujours la porte de la hutte allait s’accroupir et venir manger la soupe ; de considérer sur la terre la fuite constante de l’insaisissable monnaie du soleil ; de réfléchir que les hommes, sa grand’mère et lui n’étaient pas verts et noirs comme la forêt et le charbon, de regarder bouillir la marmite et de guetter l’instant de sa meilleure odeur ; de faire gargouiller son cruchon de grès dans l’eau de la mare qui s’était blottie entre trois rochers ronds ; de voir jaillir un lézard au pied d’un orme comme une pousse lumineuse, onduleuse et fluide, et, au creux de l’épaule du même orme, se boursoufler le feu charnu d’un champignon.

Telles furent les années d’Alain dans la forêt, parmi le sommeil rêveur des jours, et les rêves ensommeillés des nuits et il en comptait déjà dix.

Une journée d’automne il y eut grande tempête. Toutes les futaies grondaient et ahanaient ; des javelines ruisselantes de pluie plongeaient et replongeaient dans l’enchevêtrement des branches ; les rafales hurlaient et tourbillon-