Page:Schwob - Mœurs des diurnales, 1903.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les foules assemblées, mais par le lien des esprits, créé par le journal, que les idées cheminent à travers l’espace. Chaque journal est une paroisse, un diocèse ; les intérêts et les passions s’y trouvent idéalisés, sublimes en des théories. Le journal répond à un besoin croissant de sociabilité distincte et diverse.

Dialogue de chaque jour entre l’intelligence individuelle et l’intelligence publique, l’action qu’exerce la presse soulève le problème de psychologie le plus délicat.


Les inappréciables avantages qu’on peut tirer d’un tel dialogue ! Écoutez le Temps du 12 décembre 1902.


La sensibilité morale s’endurcit comme la sensibilité physique. Le journal nous apporte, tous les soirs et tous les matins, des récits effrayants : accidents, crimes, suicides, souffrances affreuses endurées par des populations entières ; expéditions militaires, brigandages, naufrages et le reste. Quelle est la jeune femme qui, en prenant son petit déjeuner, n’apprenne ainsi chaque jour vingt catastrophes, dont la moindre serait de nature à nous faire dresser les cheveux sur la tête, si nous avions le temps de nous la représenter avec le cortège de douleurs et de misères qu’elle traîne après soi ? Cela ne fait perdre à notre jeune femme, ni son appétit, ni sa belle humeur,