Page:Scott - Le Pirate, trad. de Defauconpret, Librairie Garnier Frères, 1933.djvu/21

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différence d’opinion entre l’honnête femme de charge et le non moins honnête pêcheur, sur le partage des cent pour cent au delà du prix ordinaire qu’on voulait faire payer à M. Mertoun sur quelques morues que Sweyn venait d’apporter.

Le fait éclairci, M. Mertoun fixa sur les coupables des yeux où se peignaient à la fois et le mépris et la colère et s’écria :

— Écoute, vieille sorcière, déloge à l’instant de chez moi, et apprends que je te chasse, non parce que tu m’as menti, non parce que tu m’as volé, mais parce que tu as eu l’imprudence d’élever ainsi la voix chez moi et d’y faire un tel vacarme.

Quant à toi, misérable coquin, qui t’imagines que tu peux voler un étranger comme tu dégraisses une baleine, apprends que je n’ignore pas les droits que j’ai sur toi, et que m’as cédés ton maître Magnus Troil. Provoque-moi davantage, et tu apprendras à tes dépens qu’il m’est aussi facile de te punir qu’il te l’a été de venir ici troubler mon repos. Je n’ignore pas ce que signifient le scat, le wattle, le hawkhen, le hagalef, et autres droits que vos seigneurs vous forçaient jadis à leur payer, comme ils le font encore de nos jours ; et il n’y a pas un de vous à qui je ne puisse faire maudire le jour où, non content de me voler, il s’exposera à troubler ma tranquillité par ces atroces clameurs norses, semblables aux cris discordants des mouettes du pôle.

Sweyn, stupéfait, ne trouva rien de mieux à répondre que d’offrir humblement gratis à Son Honneur le poisson qui avait occasionné la dispute, et de le supplier d’oublier l’affaire. Mais, pendant qu’il parle, la colère de M. Mertoun s’accroît au point qu’il n’en est plus le maître : il prend d’une main l’argent et le lui jette à la tête, tandis que de l’autre il saisit le poisson et s’en sert pour le pousser dehors. Sweyn, effrayé, laissa argent et poisson et regagna à toutes jambes le village, où il raconta l’aventure à ses camarades et les prévint que s’ils s’exposaient davantage à provoquer la colère de M. Mordaunt, ils auraient bientôt un maître aussi absolu que Pate Stuart[1], un maître qui les vexerait et les enverrait à la potence sans jugement et sans pitié.

De son côté, la femme de charge ne manqua pas de venir en toute hâte prendre l’avis de ses parents et de ses amis sur ce qu’elle devait faire pour rentrer dans une bonne place perdue si subitement. Le vieux ranzelman du pays, dont on vénérait les avis pro-

  1. Sweyn voulait probablement parler de ce Patrice Stuart, comte des Orcades, exécuté au commencement du dix-septième siècle pour sa tyrannie envers les habitants.