Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/29

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il aima la Princeſſe : mais il l’aima avec un ſi grand ſecret, & d’une maniere ſi reſpectueuse, que non ſeulement tant que nous fuſmes à Claſomene perſonne ne s’en aperçeut ; mais la Princeſſe meſme n’en ſubçonna jamais rien. Et certes, à dire vray, encore que Perinthe fuſt d’une Race fort noble, il y avoit ſi loin de luy à elle, qu’il ne faut pas s’eſtonner ſi on ne s’aperçent point d’une ſemblable choſe. Il luy devoit tain de reſpect par ſa naiſſance, qu’il eſtoit aiſé qu’il cachaſt les veritables ſentimens, en luy rendant tous les jours mille agreables ſervices comme il faiſoit. Cependant jugeant bien qu’il ne pouvoit jamais pretendre à ſon affection, ny ſeulement à luy faire sçavoir la ſienne, il borna tous ſes deſirs, à aquerir ſon eſtime. De ſorte que voulant ſe ſignaler à la guerre, il fut à celle que l’illuſtre Cleandre, qui eſt aujourd’huy le Prince Artamas, faiſoit en Myſie : où il fit des choies ſi admirables, que s’il n’euſt pas eu un attachement ſecret qui l’attiroit à Claſomene, il euſt pû faire une grande fortune aupres de ce genereux Favory. Mais enfin il revint chargé d’honneur, aupres du Prince ſon Maiſtre, qui le carreſſa fort à ſon retour : les Princeſſes le reçevrent auſſi fort bien : & Perinthe eut ſans doute ſujet d’eſtre conſolé dans ſon malheur, d’eſtre au moins arrivé au point, où il avoit deſiré d’eſtre.

Voila donc, Madame, quel eſtoit Perinthe : c’eſt à dire le plus diſcret, & le plus malheureux Amant du monde : & voila quelle eſtoit ſa paſſion, lors que le Prince de Claſomene prit la reſolution d’aller demeurer à Sardis, & d’y mener la Princeſſe ſa Fille : avec intention de n’en revenir point, qu’il ne l’euſt mariée. Comme il eſt Vaſſal de Creſus, & qu’il y avoit un Traité, par lequel les Princes de Claſomene eſtoient