Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/28

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Perinthe enfin euſt eſté le plus heureux homme de ſa condition, s’il n euſt pas eu dans le cœur un ennemy caché, qui troubloit quelqueſfois tous ſes plaiſirs, & qui le rendoit auſſi infortuné, qu’il paroiſſoit heureux à tous ceux qui le voyoient. Car Madame, il faut que vous sçachiez, afin de bien entendre toute la ſuitte de cette Hiſtoire, que Perinthe commença d’avoir de l’amour pour la Princeſſe de Claſomene, dés que ſon cœur en pût eſtre capable : mais une amour ſi reſpectueuse, ſi ſage, & ſi violente tout enſemble, que l’on n’a jamais entendu parler d’une ſemblable paſſion. Il m’a raconté depuis, lors que par la ſuitte des choſes qui ſont arrivées, il a eſté forcé de m’avoüer la verité, que des qu’il ſentit dans ſon ame une paſſion dont il ne pouvoit eſtre le maiſtre, & de laquelle il ne luy eſtoit pas permis d’eſperer la moindre ſatisfaction ; il fit un deſſein premedité, de ne faire amitié particuliere, ny avec pas un homme, ny avec pas une Dame : de peur que s’il en faiſoit avec quelqu’un, il n’euſt la foibleſſe de luy deſcouvrir ce qu’il avoit dans le cœur, & ce qu’il vouloit tenir caché à tout le monde. Il m’a dit auſſi, qu’il connut ſi parfaitement la folie qu’il y avoit à eſtre amoureux d’une perſonne d’une qualité ſi diſproportionnée à la ſienne, qu’il n’eut jamais l’audace de penſer ſeulement qu’elle pourroit un jour sçavoir ſa paſſion : car comme la vertu de Panthée a commencé de paroiſtre avec éclat, dés que ſes yeux ont commencé de briller, il m’a iuré cent fois qu’en pluſieurs années de ſervice & d’amour, il n’a jamais eu un ſeul moment d’eſperance. Cependant il combatit peu cette paſſion : & ſans sçavoir ny pourquoy il ne s’y oppoſoit pas plus fortement, ny quelle fin il ſe propoſoit ;