Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

luy : & ce Prince souffrit l’accident qui luy estoit arrivé, avec beaucoup de constance. Cyrus ne voulut pas luy dire qu’il avoit remarqué que le Prince Artamas estoit fort blessé : tant parce qu’il ne voulut pas l accabler de tant de douleur à la fois, que parce qu’il espera en avoir peut-estre des nouvelles plus favorables. Il se retira donc à sa Tente, où il fut contraint par civilité, de donner une heure à tous les Chefs de son Armée qui le vouloient voir : & en suitte encore une autre, aux ordres necessaires pour les choses de la guerre : apres quoy se retirant en particulier avec Chrisante seulement, il passa le reste du soir à considerer la grandeur de ses infortunes, & la multitude de ses malheurs. Cette consideration en l’affligeant sensiblement, ne luy abbatoit pas neantmoins le courage : au contraire, plus il se croyoit malheureux, plus son ame se confirmoit dans le dessein de s’opposer constamment à la mauvaise Fortune : & quoy qu’il eust le cœur fort sensible, il ne laissoit pourtant pas de l’avoir ferme & inébranlable. Il avoit mesme cét advantage, qu’il ne sentoit que les malheurs que l’amour luy faisoit endurer : car pour les autres, son esprit estoit tellement au dessus de tour ce qui luy pouvoit arriver, qu’il n’en pouvoit estre touché que foiblement. Il s’estoit veû prisonnier d’Estat, & tombé du faiste du bonheur, dans un abisme de misere : mais parce qu’il l’avoit esté sans crime, il n’avoit pas eu besoin de toute sa constance pour suporter une si fascheuse avanture. La mort mesme, toute effroyable qu’elle est, n’avoit jamais esbranlé son ame, quoy qu’il l’eust veuë cent & cent fois si prés de luy, qu’il avoit eu lieu de croire qu’il estoit prest de tomber sous sa puissance ; mais si son ame estoit assez ferme pour souffrir toutes les rigeurs de la Fortune, elle estoit aussi assez sensible,