Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/110

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pas, dit celuy de Paphlagonie, qu’il se trouve un homme qui ait l’audace de faire cette accusation. Je suis son complice s’il est criminel, adjousta Chrisante ; & je sçay que je suis innocent. J’ay veû son ame trop ferme dans la mauvaise fortune, dit alors Thrasibule, pour croire qu’elle ait seulement chancelé dans la bonne : Cela n’est croyable ny possible, s’écrierent à la fois Madate & Megabise : & si vostre Majesté, adjousta Feraulas, fait parler ceux qui l’accusent, je m’offre à les faire taire. Enfin tous ces Princes, & tous ces Chefs, les uns apres les autres, & quelques fois tous ensemble, s’empressoient à qui parleroit plus fortement, pour l’illustre & malheureux Artamene. L’un se souvenoit de ses Victoires ; l’autre de sa Generosité : L’un exaltoit sa valeur ; l’autre vantoit son affection ; & tous enfin en vindrent à tel point, qu’ils perdirent une partie du respect qu’ils devoient à Ciaxare, par le peu de loisir qu’ils luy donnoient de s’expliquer. Le Roy emporté de colere, leur presenta les Tablettes, dans lesquelles Artamene avoit escrit au Roy d’Assirie : & leur dit tout en fureur ; Voyez si celuy que vous deffendez si ardamment, est aussi innocent que vous le pensez. Le Roy de Phrigie ayant leu ce Billet tout haut, en demeura un peu surpris, aussi bien que tous ceux qui l’entendirent. Neantmoins il ne changea point de sentimens non plus que les autres : & apres avoir fort exageré, comme quoy les apparences sont bien souvent trompeuses & incertaines ; ils conclurent tous d’une voix, sans pouvoit bien dire pourquoy, qu’Artamene estoit innocent : Mais que quand mesme il seroit coupable ; ce seroit tousjours un coupable, qu’il ne faudroit pas perdre legerement.