Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/137

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de peur d’exposer leur estat, à passer sous la domination de quelqu’un qui ne fust pas du païs. Neantmoins, Astiage dont je vous parle, agit avec tant d’adresse & tant de bonheur, qu’il vint à bout de son entreprise. Il se trouva mesme par hazard, que Ciaxare estoit nay en Capadoce : parce que la Reine sa Mere, revenant de visiter un fameux Temple qui estoit en ce païs là, avoit esté surprise de mal, vers la fin de sa grossesse, & contrainte d’accoucher en un lieu, qui estoit effectivement dans les limites de la Capadoce. Il maria donc Ciaxare à cette jeune Reine : de qui la beauté & la vertu estoient encore d’un prix plus considerable que sa Couronne. Mais à peine l’eut il espousée, que la Reine, mere de sa femme, mourut : & le Peuple s’imagina, que cette mort estoit une punition des Dieux, pour n’avoir pas assez rigoureusement observée la loy fondamentale de l’Estat. Cependant Astiage apprenant que Ciaxare son fils se tenoit tres content de sa condition : & que la Couronne de Capadoce, & la vertu de la Princesse sa femme, suffiroient pour le rendre heureux, il se l’estima luy mesme : & la joye & les plaisirs reprenant leur place dans Ecbatane ; l’on peut dire que la jeune Mandane sa fille ne devoit rien apprehender davantage, que de partir d’une Cour, dans laquelle tout le monde l’adoroit : car depuis l’absence du Prince son frere, ce n’estoit plus que par elle, que l’on obtenoit quelque chose du Roy son Pere.

Mais au milieu de ce calme, & de cette felicité universelle, il advint qu’Astiage fit un songe estrangge & bizarre, dont l’on a parlé par toute la Terre ; & comme il consultoit tousjours les Mages, sur tous les accidens de sa vie ; ils trouverent que leurs premieres Predictions, pouvoient les avoir