Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/161

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bien par où ils m’y doivent conduire sans que je m’en mesle : du moins suis-je bien resolu de n’y monter jamais par l’injustice. L’on ne gagne pas des Royaumes sans combattre, respondit Harpage, & la Gloire est une cruelle Maistresse, qui ne se laisse pas posseder, sans que l’on ait exposé sa vie à de grands perils. J’exposeray la mienne, repliqua Cyrus, en ne voulant pas perdre celuy qui me la veut oster : mais pour me la voir encore exposer plus noblement, donnez vous patience, Harpage : car si je ne me trompe, je quitteray bien tost la guerre innocente que je fais dans ces Bois, pour une autre plus penible & plus glorieuse. Cependant pour vous montrer que je veux estre equitable envers vous, comme je suis indulgent envers Astiage ; sçachez que tout autre que vous qui m’eust fait une semblable proposition, ne me l’eust pas faite sans estre puny : mais pour vous, Harpage, qui n’avez pas voulu m’oster la vie, je ne veux point escouter une vertu si severe : tant s’en faut, je veux vous proteger ; je veux vous presenter au Roy mon pere, & à la Reine ma mere ; & je veux que cette Cour vous soit un Azyle inviolable : à condition toutefois, que vous ne me proposerez plus rien qui choque si fort mon devoir. Je veux mesme croire, que l’excés de vostre zele, vous a porté à me faire ces propositions injustes : & je veux me persuader, que si je dois respecter mon Ennemy, je dois aussi aimer celuy qui m’a garenty de sa violence. Mais Harpage (luy dit il avec un visage un peu plus tranquille) il est bon que je ne vous escoute pas plus long temps : car de quelque generosité que je me pique, ce n’est pas sans peine que je rejette un discours, qui me parle de Guerres ; de Combats ; de Victoires, & de Triomphes.