Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jetta dans leur bateau ; & changea le dessein de tuer Artamene, en celuy de le sauver. Mais je ne sçay si tous ensemble, ils en eussent pû venir au bout, sans un accident qui luy arriva : ce fut qu’Artamene qui estoit las de combattre & de nager ; qui de plus avoit esté blessé au bras droit par la pinte d’une escueil, à une des fois qu’il avoit plongé ; voulant faire un effort pour nager plus viste, & se reculer de ceux qui venoient à luy ; laissa tomber son Espée dans la mer ; que l’impetuosité des vagues, déroba bien tost à sa veuë. Il voulut plonger pour la reprendre ; mais ces cinq ou six Mariniers le prirent luy mesme malgré qu’il en eust ; le tirerent dans leur Esquif ; le menerent à leur bord ; & le presenterent au fameux Pyrate, qui le reçeut avec une gerosité sans exemple. Dés qu’il le vit dans son Vaisseau, où il estoit repassé, apres s’estre rendu Maistre du nostre : Ay-je combattu avec si peu de cœur, luy dit il, que vous me jugiez indigne d’estre vostre Vainqueur, & vostre Liberateur tout ensemble ? Vous avez combatu, luy respondit Artamene, avec tant de courage, que la crainte de ne pouvoir jamais vous esgaler m’a desespere : joint que j’ay quelque repugnance, à recevoir la vie d’un homme, auquel j’ay voulu donner la mort. L’inégalité du nombre, luy respondit doucement l’illustre Corsaire, justifie assez vostre valeur, & excuse assez vostre deffaite : Si je triomphois deux fois ainsi, je ne triompherois plus de ma vie : & je trouve, adjousta t’il, que la victoire que j’ay r’emportée, m’est si peu avantageuse, & vous est si honorable, que s’il y avoit un Prix pour le