Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/197

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Vainqueur, je vous le cederois ; & n’aurois pas la hardiesse de l’accepter. Cela dit, il commanda que l’on eust autant de soing d’Artamene que de luy : Et apres s’estre informé quel estoit ce Vaisseau, & avoir apris que nous estions des Estrangers, que la seule curiosité avoit conduit en Grece ; il nous traita encore avec plus de douceur. Je ne vous diray point, Seigneur, toute la bonté que l’illustre Corsaire eut pour Artamene & pour nous ; parce qu’il est trop de la connoissance du genereux Thrasibule que quand Artamene eust esté son Frere, il n’en eust pas eu un soing plus particulier. Comme les blessures de mon Maistre n’estoient pas dangereuses, non plus que celles du fameux Pyrate, ils furent bien tost gueris : mais Feraulas & moy, ne le fusmes pas si promptement. Cependant quoy qu’Artamene ne peust presque se consoler, de n’avoir pas esté Vainqueur, au premier combat qu’il eust jamais fait, quelque gloire qu’il y eust aquise ; comme la vertu a des charmes tres puissans, il se lia insensiblement, une amitié si estroitte, entre luy & le fameux Corsaire ; que jamais Vainqueur & Vaincu, n’avoient agy comme ils agirent. Cette amitié fut cause que l’illustre Pyrate ne se hasta pas d’offrir la liberté à mon Maistre ; & que mon Maistre aussi ne se hasta pas de la luy demander. Si bien que comme les affaires du premier, l’appelloient au Pont Euxin, nous prismes cette route avec luy, sans sçavoir presque où nous allions ; & sans prevoir qu’il nous y arriveroit des choses, d’où dépendoit toute la gloire, tout le bonheur, & toute l’infortune d’Artamene. En y allant, nous abordasmes à Lesbos, où le fameux Pyrate avoit affaire ; & mon Maistre &