Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/303

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dans quelque legere diſposition à ne me haïr pas ? Mais helas (pourſuivoit-il un moment apres, & ſans nous donner le loiſir de luy reſpondre) n’eſt-ce point auſſi que ces paroles obligeantes, qu’elle a prononcées en ma faveur, luy ont donné de la honte & du repentir, lors qu’elle s’en eſt apperçeuë ? n’eſt-ce point, dis-je une marque infaillible, que ſon cœur a deſadvoüé ſa bouche ? & ne sçaurois-je deviner preciſément la veritable cauſe de cette aimable rougeur, qui me l’a fait paroiſtre ſi belle, & qui luy a adjouſté de nouveaux charmes ? Ne me flatez point mon cher Feraulas, luy diſoit-il ; qu’en penſez vous, qu’en dois-je croire ? Seigneur, luy dit il, je ne voy rien en cette rougeur, qui ne vous ſoit advantageux : car quand ce ne ſeroit qu’un ſimple effet de pitié, ce ſeroit touſjours avoir ſujet d’eſperer, que plus facilement vous pourrez toucher ſon cœur, lors qu’elle sçaura les maux, que vous aurez ſouffers pour elle. Ha Feraulas, s’écria-t’il, qui ſera-ce qui les y fera sçavoir ? Cyrus n’oſant pas ſortir du Tombeau, ne les y aprendra jamais : & Artamene quine paroiſt eſtre qu’un ſimple Chevalier, en pourroit-il concevoir la temeraire penſée, ſans folie, & ſans extravagance ? Enfin Seigneur, à vous parler ſincerement, Artamene ſongeoit bien plus à la Princeſſe qu’à Artane : Ce n’eſt pas qu’il n’euſt tous les ſoings qu’il faloit avoit pour le combat qu’il devoit faire : mais c’eſt qu’en effet en penſant à toute autre choſe, il penſoit encore à Mandane : & l’Amour qui fait bien d’autres miracles, luy avoit donné ce privilege, de pouvoir parler de guerre ; d’affaires ; de nouvelles ; de complimens ; & de toutes ſortes de choſes ; ſans abandonner jamais entierement le cher ſouvenir de ſa Princeſſe.