Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/361

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voir dans vos yeux, & dans vostre procedé, qu’il y a dans vostre cœur beaucoup de colere ; un peu de crainte ; & point du tout de repentir. Mais apres tout, Artane ne m’est guere plus redoutable vivant que mort : c’est pourquoy j’oubli le passé qui n’est plus : je laisse l’advenir aux Dieux : & j’use du present, comme un homme de cœur en doit user ; faites la mesme chose si vous estes sage. Enfin Seigneur, apres plusieurs discours qu’ils eurent encore ensemble, Artamene renvoya Artane au Roy de Pont : & luy manda qu’il ne luy auroit pas mesme descouvert le crime de cét homme, s’il n’eust jugé qu’il est tousjours dangereux aux Rois, d’avoir des Sujets capables d’une extréme meschanceté sans les connoistre : Mais qu’il le supplioit, de se contenter de connoistre Artane sans le punir : ordonnant au Heraut, auquel il commanda de l’aller conduire, de ne le laisser point, que le Roy de Pont ne luy euse engagé sa parole d’en user ainsi. Artane malgré toute sa malice, ne pouvant s’empescher de voir la moderation d’Artamene ; ne pouvoit s’empescher non plus de se pleindre de sa fortune ; qui luy faisoit trouver tant de rigueur, en la clemence de son Ennemy : puis qu’en luy donnant la vie & la liberté, il le couvroit de honte & de confusion, en le renvoyant au Roy de Pont : & achevoit de le détruire, dans l’esprit de la Princesse qu’il aimoit. Pour ces deux Chevaliers prisonniers, apres qu’Artamene leur eut rendu la liberté, ils le supplierent de ne les renvoyer point au Roy leur Maistre : & de souffrir qu’ils allassent cacher leur infamie en quelque Païs esloigné. Artamene qui jugea qu’ils craignoient peut-estre quelque lasche vangeance d’Artane, qui estoit homme de condition ; leur accorda ce