Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/44

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tournant vers Chriſante) entre les mains d’un Prince, à la teſte de cent mille hommes, & que ce Prince la vouluſt ſacrifier à mes yeux, je ne ſerois pas ſi deſesperé, j’aurois un ennemy que je pourrois du moins attaquer, ſi je ne le pouvois vaincre : Mais icy, je n’ay rien à faire, qu’à m’aller jetter dans ces meſmes flames, qui ont deſja confumé ma Princeſſe. En diſant cela, il s’avançoit encore davantage : & apres avoir eſté quelque temps ſans parler ; Ha Ciel ! (s’ecrioit il tout d’un coup, voyant qu’il n’y avoit que Chriſante qui le peuſt entendre) ne ſeroit-je point la cauſe de la mort de ma Princeſſe ? n’eſt-ce point pour l’amour de moy qu’elle a elle meſme embrazé cette Ville, pluſtost que de manquer de fidelité, au malheureux Artamene ? Ha Dieu ! s’il eſt ainſi, je ſuis digne de mon infortune ; & je merite tous les maux que je reſſens. Chriſante voyant qu’il avoit ceſſé de parler, s’approcha de luy, pour taſcher de luy donner quelque legere conſolation : mais Artamene marchant touſjours ; & le regardant d’une maniere capable de donner de la compaſſion aux perſonnes les plus inſensibles ; Non, non, luy dit-il, Chriſante, ce malheur n’eſt pas de ceux dont l’on peut eſtre conſolé : & je n’ay qu’une voye à prendre, que je ſuivray ſans doute bien toſt. Ouy, Chriſante, j’auray du moins cette funeſte conſolation, que ce meſme feu qui a peut-eſtre bruſlé ma Maiſtresse & mon Rival ; qui a confondu l’innocence & le crime ; & qui m’a privé tout enſemble, de l’objet de ma haine, & de celuy de mon amour, achevera encore de me détruire ; & meſlera du moins mes Cendres, avec celles de mon adorable Princeſſe. En diſant cela, il ſembloit avoir toutes les marques d’un prochain deſespoir ſur le viſage : ſa